Sécurité-patient.fr
Sécurité-patient.fr
Le terme « never events » est apparu en 2001 aux États-Unis pour décrire des erreurs médicales choquantes, à commencer par la chirurgie du mauvais côté ou du mauvais patient, une erreur rare mais qui marque les esprits et épouvante aussi bien les usagers que les professionnels de santé. Ce terme peut être traduit de plusieurs façon en Français, pour les canadiens francophones, il s’agit des « événements qui ne devraient jamais arriver ».
Pour figurer sur une liste de « never events » un événement doit être grave, entrainer la mort ou un préjudice tel que la perte d’un membre ou d’un organe ou un fort handicap. Une déclaration obligatoire de ces événements est parfois imposée légalement (dans 27 états nord-américains, en Angleterre, ou encore en Irlande où ils sont dénommés « serious reportable events »).
Ces événements sont considérés comme de bons témoins du niveau d’engagement des établissements de soins dans la démarche d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins. Aux États-Unis, les soins additionnels requis pour les conséquences de ces erreurs peuvent ne plus être payés par les assureurs, c’est le cas depuis 2009 après une chirurgie du mauvais côté ou du mauvais site.
4 pays disposant d'une liste de "never events" : États-Unis, Canada, Angleterre, Suisse (voir en bas de page).
Dans un rapport d’Avril 2023 sur l’état de la « sécurité des patients dans le monde.» l’OMS rapporte que 70 des 102 pays membres de l’OMS qui ont répondu à l’enquête (sur 196) disposeraient de système de collecte et d’analyse des « événements graves qui ne devraient jamais se produire » Ce taux de 36% de réponse positive inclut également les pays déclarant disposer de système d’alerte reposant sur la collecte « d’événements sentinelles. ». Nous pouvons cependant considérer que les données disponibles insuffisantes, à l’exception de très rares pays, pour apprécier la réalité « opérationnelle » et la représentativité des données collectées. L’absence de consensus sur la définition des « never events » rend également les comparaisons difficiles et limite les efforts pour améliorer la sécurité des soins en s’attaquant en priorité aux événements les plus graves.
Un recul trop faible des erreurs médicales et des « never events »
La mise en place de ces listes, la sensibilisation des établissements hospitaliers et la mise en œuvre des bonnes pratiques procédures aurait dû permettre de ne plus jamais voir se reproduire ces événements graves évitables. Ce n’est pas le cas et le constat s’applique à l’insuffisant recul des erreurs médicales, y compris les plus graves, dans le monde.
Au Canada, 20 ans après la publication d’un rapport ayant établi que jusqu’à 23.750 personnes décédaient suite à un événement grave évitable, un nouveau bilan a été établi en 2022. Actuellement, 1 personne hospitalisée sur 17 est toujours victime d’une erreur médicale entrainant un préjudice. Une étude a également permis de constater que des « never events » survenaient toujours : en Ontario entre 2015 et 2019, dans 6 des 13 hôpitaux ayant fait l’objet d’une enquête, 10 événements de la liste des 15 sont survenu 214 fois et surtout aucun de ces établissements n’avaient mis en place les mesures suffisantes pour les prévenir. Ainsi, l’ensemble du pays et sur 2 ans, 550 objets (compresses ou autres matériels) ont été oublié par erreur chez des patients opérés : un "never event" dont la fréquence a légèrement augmenté entre 2012 et 2018.
Le NHS anglais dispose également de données grâce à l’exploitation de13.000 plaintes de patients (2022/2023) collectées sur le portail de signalement des « négligences médicales susceptibles d’ouvrir un droit à une réparation ». Les « never events » à l’origine de ces plaintes ne représentent qu’un faible pourcentage des événements indésirables rapportés par ailleurs sur un autre portail du NHS qui en comptabilise 2.5 millions tous les ans. Entre avril 2015 et septembre 2023, la « chirurgie du mauvais côté ou du mauvais site opératoire » a été notifié 1584 fois (soit environ 180 événements par an en moyenne sur cette période). La chirurgie du mauvais côté ou du mauvais site représente environ la moitié des 400 « never events déclarés sur une année entre avril 2022 à mars 2023. Les erreurs médicamenteuses classées comme « never events » sont au nombre de 16 sur cette période, notamment des formes orales de médicament ont été injectées en intraveineux. Ce dernier chiffre est cependant à comparer au nombre des erreurs médicamenteuses ayant un impact clinique potentiel, estimé à…66 millions par an pour l’ensemble du NHS (mais le nombre de signalement de pharmacovigilance destiné à l’ANSM anglaise, la MHRA, n’est « que » de 20.000 par an).
Aux États-Unis, les estimations de la fréquence des « never events » chirurgicaux proviennent de travaux académiques exploitant plusieurs bases de données. En 2012 une estimation des « never events » chirurgicaux a été réalisé par l’Université John Hopkins à partir de l’analyse des plaintes de patients : la base « NPDB public Use Data File », créée en 1986, et qui contient les données anonymisées mises à jour 4 fois par an et consultables sur demande par les professionnels et à des fins de recherche (elle n’est pas accessible par le public). 80.000 « never events » chirurgicaux ont été déclarés entre 1990 et 2010, soit 4000 par an en moyenne représentant environ la moitié des plaintes enregistrées dans la base de données sur une période plus récente 2009-2018. Les autres travaux permettent d’estimer qu’un « never event » chirurgical intervient toute les 10.000 ou 100.000 interventions, voire 200.000 si basée sur les seules déclarations et plaintes (données de l’État de Californie).
En 2024 la France ne dispose pas encore d’une liste complète de « never events » et il est impossible de les distinguer et de connaitre leur fréquence.
Le décret n°2016-1606 a défini le cadre permettant les déclarations des événements indésirables mais leur déclaration n’a pas été rendue obligatoire (aucune sanction n’est prévue.)
Un cadre a été défini niveau régional sous l’autorité des ARS, et un portail national « Signalement.sante.fr » est disponible depuis mars 2017 afin de permettre la déclaration des événements indésirables liés aux soins. Le portail ne fait pas référence à des « never events » dans les informations en ligne destiné aux professionnels et au grand public.
On peut donc penser qu’une partie des EIS déclarés aux ARS, à commencer par les EIGS « remontés » à la HAS pourrait être qualifié de « never events » mais leur fréquence est impossible à déterminer et il n’y pas à l'heure actuelle de « fléchage » ou d’actions mises en avant pour les voir disparaitre en priorité.
Traitées au niveau régional par les ARS, qui peuvent décider de classer sans suite, les EIS sont ensuite transmis à la HAS ou à l’ANSM en fonction des compétences et attributions respective des agences via un système informatique Veille et Sécurité Sanitaire « SI-VSS » assurant la traçabilité, la gestion et le suivi de ces signalements.
A notre connaissance, l’un des rares travaux français récents mentionnant les « never events » est le fait d’une étude académique publiée dans une revue scientifique spécialisée dans la sécurité des patients. Après avoir eu accès à la base de données des plaintes instruites par l’assureur en responsabilité Relyens, l’article mentionne 219 plaintes ne concernant que les erreurs chirurgicales de côté de patients et de procédure entre 2007 et 2017.
Les résultats de l'étude nationale sur les événements indésirables liés aux soins – ENEIS - financée par le ministère de la Santé (après celle de 2004 et de 2009, les résultats de la troisième enquête de 2019 ont été publié en 2021). Elle collecte les Événements indésirables graves -les EIGS - et évalue la part évitable mais sans pouvoir distinguer les "never evens."
Enfin de nombreuses initiatives locales doivent bien exister mais leur recensement reste difficile. Elles s'appuient notamment sur la liste restreinte de "never events" de l'ANSM par les OMEDITs régionaux, voir par exemple la proposition de jeu "Escape Game Never Events Enigma" de l'Omedit Pays de Loire.
En effet, l’ANSM a la responsabilité d’assurer la surveillance des médicaments et des autres produits de santé (dispositif médical, produits sanguins par exemple) comprenant notamment le recueil et l’analyse des déclarations d’événements indésirables faites par les professionnels de santé, les patients et les usagers. L’approche de la Sécurité des patients par l’ANSM s’inscrit dans une activité ancienne de « vigilance » (pharmacovigilance, matériovigilance) qui doit cependant être distinguée de l’approche reconnue internationalement pour améliorer la sécurité des soins des actes et interventions médicales. L'ANSM a établi sa propre liste qui n'inclut que les "never events" médicamenteux. L'ANSM précise en effet que cette liste, inspirée par celle du NHS anglais, a été "adaptée aux spécificités françaises, à l'appui des données remontées vers le Guichet Erreurs Médicamenteuses de l'Agence".
Les évènements qui ne devraient jamais arriver (Liste ANSM)
Les dépôts de plaintes par les patients : une autre source ?
Les dépôts de plaintes par les patients constituent une autre source de données exploitables. Les patients peuvent passer par les commissions de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CCI) et voir leur dossier traité par l’Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM).
Les dossiers peuvent également être directement traités par l’ assureur en responsabilité professionnelle des professionnels de santé dans le secteur privé. Dans le secteur public, l’hôpital est souvent son propre assureur.
Les sinistres les plus lourds ont fait l’objet jusqu’en 2015 d’études de « l’observatoire des risques médicaux » adossé à l’ONIAM. Les données des assureurs, collectées par l’ACPR (autorité de contrôler prudentiel et de résolution), sont désormais communiquées dans un rapport annuel au ministres concernés mais ne sont que très difficilement accessibles. Un rapport sénatorial soulignait ainsi que même le parlement ne pouvait pas en prendre connaissance (cf. rapport sénatorial sur l’assurance responsabilité civile des professionnels de santé libéraux).
Les données de l’ONIAM ne permettent pas non plus d’évaluer la fréquence des « never events » en France.
Un besoin de clarification indispensable
La « gestion des erreurs médicamenteuses » par l’ANSM répond donc prioritairement à des obligations réglementaires imposées par l’Union Européenne et l’EMA, une fois les médicaments mis sur le marché. En réalité, Les problèmes de pharmacovigilance et les erreurs médicales organisationnelles diffèrent par leur nature. Les vigilances s’intéressent aux événements indésirables générés par les produits de santé et c’est donc « l’approche produit » qui est favorisée, alors que la « sécurité des patients » mets l’accent sur les conditions opérationnelles qui ont favorisé les erreurs quelles qu’elles soient, y compris médicamenteuses.
Ce découpage est retrouvée dans l'organisation du site de signalement mis en ligne par le Ministère de la Santé, la page de saisie réservée aux professionnels de santé du portail Signalement.santé.fr comprend 15 items dont 13 qui comprennent le terme « vigilance » ; les 2 autres termes sont : « événements indésirables graves associés à des soins » et « infections associées aux soins ».
Les EIS traités par les ARS et qui ne sont pas destinées à l'ANSM (via les CRVP) ne concernent donc pas spécifiquement les produits de santé ou les vigilances mais avant tous les 2 items se rapportant aux soins. Une fois étudiées, les déclarations devraient être transmises à la Haute Autorité de Santé mais plusieurs régions n’en font remonter actuellement aucune ou très peu. Les travaux de la HAS porte donc sur un très faible nombre d’EIS alimentant une base de données n’incluant que les dossiers jugés « complets » (1200 en 2019 !).
Le suicide fait partie de la liste des « never events » dans les pays qui en dispose or il s’agit de l’EIGS le plus souvent déclaré et transmis à la HAS en France. Ce résultat est en complet décalage avec les données rapportées dans la majorité des pays qui placent, ainsi que l’OMS, les erreurs chirurgicales parmi les « never events » les plus fréquents.
On peut donc penser que la très grande majorité des "never events" ne sont pas déclarés. Ainsi, à partir des données étasuniennes sur les erreurs chirurgicales (coté, patient) avec environ 9 millions d’interventions chirurgicales réalisées en France chaque année, la fréquence théorique de « never events » chirurgicaux devrait se situer entre 50 et 900 par an dans notre pays.
Pour ce qui concerne les produits de santé, dont le médicament, la HAS a publié des statistiques sur 256 déclarations d’EIGS collecté entre mars 2017 et décembre 2019 dont 180 erreurs liées aux médicaments (soit en moyenne environ 63 par an.
La production de la HAS étant limitée par la complétude des dossiers et par la transmission effective des déclarations par les ARS, il est impossible de définir le nombre d’EIGS réellement déclarés aux ARS.
Il convient également de rappeler que l’enquête ENEIS la plus récente, en 2019, a relevé que seulement 1.6% des EIGS étaient déclarées sur le portail national Signalement.sante.fr soit 1/60.
Plus généralement, la fréquence des EIGS liés aux actes, dont les "never events" est donc impossible à estimer compte tenu du très faible nombre de signalements et de l’absence de transmission systématique à la HAS.
Pour toutes ces raisons, il nous semble indispensable d’engager une réflexion sur l’approche française de la « sécurité des patients » à la fois pour repenser l’organisation générale qui clarifierait le rôle et les responsabilités des différentes agences (HAS et ANSM,) et d'adapter la démarche du ministère de la santé pour la collecte et la gestion des déclarations à partir de portails réservés aux professionnels et au usagers, dont signalement.sante.fr
A l’instar d’autres pays, il conviendrait de distinguer l’approche par « vigilance » et la démarche globale de promotion de la Sécurité des patients systémique et organisationnelle. Leur complémentarité devrait bien entendu être garantie.
Une première étape serait de commencer par reconnaitre l’existence des « never events » quelle que soit leur cause et pas uniquement médicamenteuse, et chercher à les prévenir efficacement.
Une refonte permettrait également de mieux définir les termes utilisés : les usagers et les patients, voire des professionnels de santé, peuvent être désorientées par les nuances et distinctions à apporter entre « EIS », « EIGS », « erreur médicale », « accident », « vigilances », « plaintes » etc…
Ces choix sémantiques traduisent en réalité les priorités imposées par la réglementation et les impératifs stratégiques des agences et des tutelles. En l'absence de clarification, la question d’une crainte ou d’une résistance face aux besoins d’une plus grande transparence peut venir dégrader la confiance des usagers et patients. La transparence est considérée comme indispensable pour faire évoluer la sécurité des soins et instaurer une véritable « culture de la sécurité » dans notre pays.
Il peut être utile de s'inspirer des modèles étrangers, notamment dans les pays qui disposent de bases de données évoluées alimentées par des portails beaucoup plus accessibles et plus pédagogiques.
A titre d'exemple, en Angleterre, les sites de déclarations de vigilances (médicament, dispositif) et les déclarations d’erreurs médicales sont distincts.
En France, les chiffres pour les deux types de déclarations sont respectivement 40.000 et 4000 ! (voir tableau ci-dessous)
Listes des "never events" de 4 pays : États-Unis, Canada, Angleterre, Suisse.
ETATS-UNIS
Une première liste de « never events » a été élaborée en 2002 aux États-Unis et révisée à plusieurs reprises (encadré N°1). Elle regroupe aujourd’hui 29 événements graves évitables répartis en 7 catégories.
Événements chirurgicaux ou procéduraux
Événements liés aux produits ou aux dispositifs
Événements liés à la protection des patients
Événements liés à la gestion des soins
Événements environnementaux
Événements radiologiques
Événements criminels
États-Unis : Liste des « never events » National Quality Forum, 2016 https://psnet.ahrq.gov/primer/never-events
CANADA
Le Canada dispose depuis 2015 de sa liste de 15 "never events" publiée par l’Institut Canadien pour la Sécurité des Patients aujourd’hui fusionné avec la Fondation Canadienne des services de santé pour constituer « Excellence en Santé Canada.»
Canada : Liste des Événements qui ne devraient jamais arriver, Excellence Santé Canada, 2015
ANGLETERRE
Le NHS anglais dispose également d’une liste des « never events » au nombre de 16. La dernière version date de 2021.
Angleterre : liste des never events, NHS, 2021
SUISSE
Enfin la Suisse dispose depuis 2020 d'une liste de 12 "never events" publiée par la Fondation Sécurité des Patients Suisse.
Suisse : liste des never events, Fondation Sécurité des Patients, 2020-2021
Nombre annuel d’événements de tous types collectés en France et pour lesquels des données sont disponibles : accès aux sites web publics, documentation officielle, publications scientifiques.
source : Association Le LIEN/THIERRY JP.
©Droits d'auteur. Tous droits réservés. Mentions légales
Nous avons besoin de votre consentement pour charger les traductions
Nous utilisons un service tiers pour traduire le contenu du site web qui peut collecter des données sur votre activité. Veuillez consulter les détails dans la politique de confidentialité et accepter le service pour voir les traductions.